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« Les Institutions invisibles », de Pierre Rosanvallon, Seuil, « Les livres du nouveau monde », 316 p., 23,50 €, numérique 17 €.
Comme les civilisations, les démocraties sont mortelles. Elles peuvent même, en quelque sorte, s’autodétruire : ainsi de la République de Weimar cédant en 1933 au nazisme. Que ce tragique basculement soit disséqué par Pierre Rosanvallon dans son nouvel essai, Les Institutions invisibles, en dit long sur son inquiétude. Pour l’historien et théoricien du politique, tout indique en effet que la crise de défiance, l’érosion du lien social et la fragilisation de la légitimité gouvernementale préparent le triomphe des populismes autoritaires et xénophobes.
L’ouvrage part du constat d’une « mal-représentation » et d’un « écart mortel entre la société et le système politique ». Encore faut-il en saisir les ressorts pour y remédier. Rosanvallon s’agace des formules rituelles sur « la montée de l’individualisme » ou l’avènement d’un « néolibéralisme » destructeur. Si nous peinons à produire du « commun » social et politique, et à bâtir ensemble l’avenir, ce serait plutôt à cause d’une difficulté de compréhension et d’expression politique de nos sociétés. En une formule, le problème tiendrait au rendement démocratique décroissant des élections. Indispensables pour conférer un permis de gouverner et trancher des désaccords, elles sont toutefois moins que jamais un blanc-seing, surtout quand l’assise sociale et électorale des « vainqueurs » se réduit. Dans tous les cas, l’erreur du pouvoir politique est de croire qu’il peut gouverner en s’exonérant d’un lien d’interaction permanent avec la société, au lieu d’y puiser l’énergie d’une action efficace.
D’où l’intérêt de bâtir une théorie, nourrie d’histoire, des trois « institutions invisibles » que sont la confiance, la légitimité et l’autorité. Les institutions, en effet, ne sont pas exclusivement des choses tangibles, organisations ou règlements. Mobilisant l’anthropologue Marcel Mauss (1872-1950), Rosanvallon rappelle qu’elles désignent aussi les mœurs, usages, préjugés, etc., qui structurent la vie des sociétés, leur aptitude à articuler passé, présent et avenir. Impalpables, jamais données d’avance, elles n’en sont pas moins la condition sine qua non de toute communauté vivante et durable.
Face à un monde complexe et imprévisible, nos relations sociales supposent la confiance. En réduisant l’incertitude du futur, celle-ci facilite la coopération avec les autres et permet les échanges. Quant à l’autorité, cette qualité personnelle d’incarnation et de direction du collectif, elle cristallise l’action commune, évitant le double écueil de la coercition et du chaos. Enfin, la légitimité venue d’en bas insuffle au pouvoir solidité et engagement dans le temps, aux antipodes de la pure contrainte légale.
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